Un arrêt récent du 11 octobre 2023 de la chambre commerciale de la Cour de cassation est à nouveau venu préciser que le remploi de fonds objets d’un quasi-usufruit au sein d’un contrat d’assurance-vie, dont le bénéficiaire est le nu-propriétaire, ne constitue pas un moyen de paiement de la dette de l’usufruitier à défaut de précision.
Avant de rentrer dans le cœur du sujet, il est important de rappeler au lecteur la notion du démembrement.
Il est possible de démembrer la pleine propriété en la partageant en deux droits : l’usufruit et la nue-propriété.
L’intérêt civil consiste, au décès de l’usufruitier (ou au terme prévu par la convention de démembrement), à recouvrer la pleine propriété par le nu-propriétaire de la chose ou du bien qui a été démembré.
L’intérêt fiscal de cette opération est d’imposer la transmission du droit démembré (usufruit ou
nue-propriété) sur une valeur plus faible que la pleine propriété, et ce sans supplément à la fin du démembrement par extinction de l’usufruit. A noter que l’évaluation fiscale du droit transmis dépendra de la nature de la transmission (donation ou cession).
L’une des particularités du démembrement de propriété se rencontre lorsqu’un usufruit porte sur un bien consomptible, c’est-à-dire un bien dont l’usage ne peut se faire sans qu’on ne le consomme (ou une chose qu’on doit consommer pour pouvoir en user).
A titre d’illustration, il peut s’agir de la constitution d’un démembrement sur une somme d’argent, quand bien même le démembrement sur les liquidités serait initial ou reporté à la suite de la cession d’un bien.
C’est dans cette situation spécifique que l’on voit apparaitre une nouvelle notion, celle de quasi-usufruit (notion définie à l’article 587 du Code Civil).
En effet, l’usufruitier devient dès lors usufruitier d’un bien consomptible, qu’il ne peut utiliser sans le consommer. Il sera ainsi dénommé quasi-usufruitier et pourra pendant toute la durée de ce quasi-usufruit (durée du démembrement sur un bien consomptible) librement disposer du bien.
Il n’en demeure pas moins qu’au terme (par principe le décès), il devra restituer au nu-propriétaire, au moins en valeur, le bien dont il a disposé au titre de cette prérogative.
Le nu-propriétaire évolue de facto en créancier de l’usufruitier à partir de l’existence du quasi-usufruit.
Cette créance dite de restitution sera alors portée au passif de la succession (en tant que dette) du quasi-usufruitier si l’usufruit s’éteint par le décès de ce dernier.
Le montant de la créance de restitution est égal par principe à la valeur du bien objet du quasi-usufruit le jour où il a été créé. Cette valorisation pourra cependant être revue selon une indexation qui sera à mentionner dans une convention de quasi-usufruit.
Maintenant que les notions essentielles à la bonne compréhension de cet article ont été définies, nous pouvons nous concentrer sur le cas des sommes en quasi-usufruit remployées dans un contrat d’assurance-vie dont la clause bénéficiaire désigne le nu-propriétaire créancier.
Il convient de préciser qu’il est possible, pour un quasi-usufruitier bénéficiaire de capitaux décès démembrés lors du dénouement d’un contrat d’assurance-vie, de remployer les sommes dans un nouveau contrat d’assurance-vie en souscrivant ce dernier en pleine propriété.
Cependant, comme précisé au préalable, le nu-propriétaire dispose alors d’une créance de restitution envers le quasi-usufruitier.
De plus, la jurisprudence a précisé à différentes reprises que l’usufruitier pouvait utiliser les fonds issus du quasi-usufruit comme il le souhaitait, mais que la désignation du nu-propriétaire comme bénéficiaire du contrat d’assurance-vie par suite du remploi des liquidités n’annulait pas sa dette de restitution envers celui-ci (Cour d’appel de Douai le 12 mai 2016 n° 15/03664).
C’est cette même position qui a été reprise dans la décision de la Cour de cassation le 11 octobre 2023 : le défaut de précision dans la clause bénéficiaire ne suppose pas que le bénéfice du contrat éteint la créance de restitution au profit du nu-propriétaire créancier désigné bénéficiaire.
Une vigilance particulière s’impose donc lorsque les liquidités sont remployées dans un contrat d’assurance vie, pour permettre le paiement de la créance !
Deux cas sont à distinguer : la désignation à titre gratuit ou à titre onéreux du bénéficiaire également créancier de la créance de restitution.
Si la désignation est à titre gratuit, le nu-propriétaire pourra porter la dette de restitution du quasi-usufruitier au passif de sa succession. Les capitaux décès seront alors taxés selon les modalités des articles 757 B ou 990 I du Code Général des Impôts suivant l’âge du quasi-usufruitier au moment des versements (avant ou après 70 ans). La créance de restitution permettra également de réduire l’actif de la succession qui sera soumis aux droits de succession, à condition d’avoir établi par acte notarié une convention de quasi-usufruit pour porter connaissance de la dette.
Pour éviter cette requalification au titre de l’abus de droit ou du mini abus de droit (opération à but poursuivi principalement fiscal), certains praticiens conseillent que le quasi-usufruitier fasse vivre le contrat afin de justifier d’un intérêt personnel autre que l’intérêt fiscal de la transmission du capital au nu-propriétaire.
A ce jour ce double avantage conféré au(x) nu(s)-propriétaire(s) n’est pour l’instant pas remis en cause tant qu’une justification pour contrer le mini abus de droit est apportée à l’opération.
Il n’en demeure pas moins que nul ne peut assurer la validité constante de ce double effet gagnant dans le futur !
Si la désignation est à titre onéreux, le nu-propriétaire échappera à la fiscalité de l’assurance-vie. Les capitaux versés à titre onéreux ne seront pas imposés car ils viendront en remboursement de la créance de restitution qui lui est due.
Les fonds éventuellement perçus à titre gratuit (pour le surplus) seront cependant imposés en vertu de l’article 757 B ou 990 I du Code Général des Impôts suivant l’âge du quasi-usufruitier au moment des versements.
Cependant, le passif de la succession du quasi-usufruitier ne sera pas réduit du montant de la dette car le nu-propriétaire bénéficiaire ne pourra plus se prévaloir de sa créance.
La désignation à titre onéreux du nu-propriétaire a un effet double :
Il découle de l’ensemble des éléments abordés que la réflexion sur la nature de la désignation (à titre gratuit ou onéreux) du bénéficiaire titulaire de la créance de restitution est nécessaire et ne doit pas être négligée.
Bien évidemment, cette désignation se doit d’être accompagnée d’une parfaite rédaction de la clause bénéficiaire, ce qui n’est pas toujours chose aisée.
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